Date de publication
17 juin 2025
modifié le

Bénin : pourquoi l’armée peine à freiner l’avancée djihadiste

Depuis l’attaque d’août 2019 à Kérémou, l’alerte est donnée. Le Bénin, jusque-là épargné par la poussée djihadiste venue du Sahel, est entré dans une ère nouvelle. Non pas celle d’une guerre classique, mais celle, plus floue et plus éprouvante, d’une guerre insaisissable. C’est une guerre contre des hommes sans uniformes, sans drapeaux, mais pas sans stratégie. Et c’est là que réside l’un des défis majeurs de l’armée béninoise : elle affronte un ennemi qui ne cherche pas à occuper, mais à dissoudre.

En tant que chercheur, j'ai analysé la transformation de l’armée béninoise entre 1990 et 2020. J'explique ici pourquoi cette armée peine à freiner l'avancée djihadiste dans le pays.

Sur le papier, la réponse est robuste. Plus de 3 000 soldats déployés dans le cadre de l’opération Mirador. Drones, véhicules blindés, avions de reconnaissance. De nouveaux équipements fournis par les États-Unis, la Chine, l’Union européenne. Même des drones de surveillance ont été annoncés. Pourtant, sur le terrain, le déséquilibre persiste.

L’attaque violente du 17 avril 2025, revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM - Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, ou JNIM en anglais) fait 54 morts dans les rangs béninois. Deux fois plus qu’en janvier. En tout, depuis fin 2021, plus de 200 soldats sont tombés.

Le problème, selon plusieurs sources militaires, n’est pas matériel. Il est structurel. Les équipements sont là, mais ils ne sont pas toujours là où il faut, ni quand il faut. La base militaire de Kandi, à 200 km des points chauds, ne peut intervenir à temps. Les aéronefs ? Sous-utilisés. Les drones ? En nombre insuffisant. Les soldats ? Trop jeunes, souvent mal préparés, parfois sans expérience de combat réel. « Il faut savoir piloter un drone, mais aussi savoir à quoi on doit le faire regarder », résume un officier.

Et même quand les armes sont sophistiquées, elles ne suffisent pas. Après l’attaque d’avril, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des terroristes exhibant des armes lourdes prises aux soldats béninois. Mitrailleuses, mortiers chinois, chargeurs entiers. On se demande comment, avec tout cela, ils ont pu reculer si vite. La réponse est simple.

Ce n’est pas seulement une question d’armes. C’est une question de coordination, de terrain, de rythme. Les groupes armés, eux, connaissent la zone. Ils passent par les pistes que les soldats découvrent encore. Ils frappent, puis se replient dans des zones escarpées, inaccessibles, souvent de l’autre côté d’une frontière.

Isolement régional

L’autre facteur, de nature plus politique, est l’isolement du Bénin dans la zone. Depuis le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), jusqu'à la création de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) en septembre 2023, les accords de coopération sécuritaire sont devenus caducs.

Plus de droit de poursuite. Plus d’opérations conjointes. Plus de visibilité sur ce qui se passe à quelques kilomètres de l'autre côté de la frontière. Les groupes armés profitent de cette brèche. Ils opèrent, puis se replient au calme. Ils savent qu’on ne viendra pas les chercher.

À Cotonou, les autorités l’admettent. Le président Patrice Talon l’a reconnu dans son discours du 20 décembre 2024 : « C’est le seul domaine où nous sommes encore en difficulté. » La coopération régionale est désormais à géométrie variable. Et la géographie, elle, ne pardonne pas.

Des villages infiltrés

Mais au-delà du militaire et du diplomatique, il y a le front intérieur. Là où la bataille est plus lente, mais plus déterminante. Car dans le nord du Bénin, les djihadistes n’ont pas conquis. Ils se sont fondus. Ils sont entrés dans les villages. Ils ont noué des alliances. Ils ont recruté, par besoin, par promesse, par pression.

Ils n’ont pas besoin de prendre les villes. Ils installent des réseaux de renseignement. Ils paient bien. Ils creusent un puits ici, embauchent un jeune là. Ils connaissent les clivages : éleveurs contre agriculteurs, anciens contre jeunes, centre contre périphérie. Et ils exploitent chaque faille. Chaque silence. Chaque retard.

Le gouvernement en est conscient. Depuis 2021, il a adopté une stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent. Le projet Cohésion sociale des régions Nord du Golfe de Guinée (Coso), financé par la Banque mondiale, en est un volet : 33 millions de dollars pour tenter de restaurer la confiance, relancer la cohésion, offrir des alternatives. Quelque 524 500 bénéficiaires sont ciblés.

Mais pour beaucoup, le chantier est encore trop lent. Les projets sont lancés, mais rarement ancrés. Les communautés restent en marge. Et parfois, même les mieux intentionnés peinent à comprendre ce que signifie « appartenir à la nation » dans un village oublié. Dans un espace où l’État ne vient qu’avec des militaires, mais sans routes, sans écoles, sans soins.

Un acteur local, dans à Parakou, localité située dans le nord-est du pays, le résume :

Tant qu’il n’y aura pas de sentiment d’appartenance, les groupes armés auront toujours une longueur d’avance.

Que faire ?

Il faut du temps, bien sûr. Mais il faut aussi une autre méthode. Mieux former les soldats. Mieux les équiper, mais surtout les accompagner. Il faut raccourcir les lignes de décision. Décentraliser le commandement. Mettre en place des unités mobiles, agiles, locales. Connaître le terrain, c’est déjà le contrôler.

Il faut relancer une diplomatie de sécurité avec les pays voisins, même hors Cedeao. Ouvrir des canaux techniques, bilatéraux. Ne pas attendre que la politique régionale se stabilise pour agir. Les groupes armés, eux, ne demandent pas d’autorisation.

Et surtout, reconstruire le lien entre l’État et les populations frontalières. Pas seulement par des projets. Par la présence. Par la parole. Par la protection. Il faut faire en sorte que, dans un village, quand un enfant voit un militaire, il voit l’État. Et non une force étrangère.

Le Bénin ne manque pas de volonté. Mais il lui faut mieux répartir son effort. La guerre contre le djihadisme ne se gagnera pas seulement avec des armes. Elle se gagnera en rendant les communautés plus fortes que la peur. En rendant l’État plus proche que les groupes armés. Et en acceptant que cette guerre-là, pour être gagnée, doit d’abord être comprise.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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